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Patrice Franchet d'Espèrey 

Site dédié à l'équitation française

 

Il n'y a jamais eu une seule équitation. L'utilisation du cheval pour des besoins différents, et par les peuples qui vivaient sous différentes latitudes, a conduit au développement de techniques différentes, qui coexistaient à la même époque et parfois s'influençaient. Par conséquent, caractériser l'art équestre en un temps donné est toujours un peu arbitraire. Mais il est également vrai que la large diffusion des premiers traités équestres imprimés en Europe au milieu du XVIe siècle, et la large circulation à l'échelle continentale des écuyers italiens ou formés dans les écoles italiennes, ont largement contribué à normaliser les pratiques équestres et à établir un « canon » d'exercices qui est resté en vigueur pendant plus d'un siècle, caractérisant la « belle équitation » de la Renaissance.

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La pesade était typique de l'équitation de la Renaissance et baroque.
Elle était utilisée pour arrêter le cheval en déplaçant son poids sur l'arrière-main, mais aussi comme
" air de présentation ".
Jacob Jordaens, Cavalier qui exécute une pesade, 1643,
(Museum of Fine Arts, Springfield, MA, USA)

En particulier Cesare Fiaschi de Ferrare, dans son traité publié en 1556 : Trattato dell'imbrigliare, atteggiare, e ferrare cavalli (Traduit par François du Prouane et publié pour la première fois en France sous le titre : Traité de la manière de bien emboucher, manier et ferrer les chevaux, en 1564) systématise les différentes pratiques en usage de l’époque, établissant des règles qui peuvent être jugées pratiquement identique dans les traités qui ont suivi de la seconde moitié du XVIe siècle. Fiaschi a non seulement énuméré et décrit par les mots les différents exercices, mais a essayé de rendre son explication claire à travers des gravures qui montrent l’attitude du cheval et du cavalier, en plus du plan de terre. La particularité du traité de Fiaschi est que l’explication de certains exercices est, non seulement, accompagnée du plan montrant la disposition de l’exercice et l’image du cheval et du cavalier qui l’exercent, mais aussi complétée par une portée musicale qui en indique le rythme. Le cavalier devait chanter lors de l’exécution de l’exercice, ou au moins garder à l’esprit la cadence.

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Dans son Trattato dell'imbrigliare, maneggiare et ferrare cavalli (1556),
Cesare Fiaschi établi le « canon »
de l'équitation de la Renaissance.
( Fiaschi, 1556, Planche au début de la deuxième partie)

Les exercices indiqués par Fiaschi peuvent être divisés en deux grandes catégories ; ceux qui sont liés principalement à des fins militaires, les " maneggi ", et ceux qui ont plus un objectif d’ esthétisme et de virtuosité, que nous pourrions appeler« airs de présentation » qui consistaient, pour la plupart, dans ce que nous appelons aujourd’hui « les sauts d’école », ou « airs relevés ». Dans cet article nous allons traiter de la première, à savoir les " maneggi " (maniements) ; nous reporterons une description et une explication des « sauts » à un article ultérieur.

Avec le terme " maneggi ", Fiaschi et d’autres auteurs de la Renaissance visent à inclure différentes variantes de ce qui, dans des temps plus récents, a été appelé à la française « passade ». C’était un exercice fondamental dans l’art de combattre à cheval qui se composait de galop sur une ligne droite (que les auteurs italiens appelaient " repolone "), après lequel l’animal devait s’arrêter et tourner dans l’espace le plus court possible, afin d’exécuter immédiatement une autre charge dans la direction opposée. L’objectif était d’aller contre l’ennemi – armé d’une lance, une épée, ou un pistolet – et de l’attaquer à nouveau après la première charge. Afin de mobiliser le cheval dans l’espace le plus court et le plus rapidement possible, il était arrêté à la fin de la charge avec la " posata ". Le cheval était amené à raccourcir de plus en plus le galop, portant le poids sur l’arrière – main, soulageant les antérieurs jusqu’à ce qu’ils se soulèvent du sol, puis à tourner, en pivotant sur les postérieurs. La terminologie française a prévalu au cours des siècles et, ce que les maîtres italiens appelaient " Posata ", nous est maintenant plus familier avec le nom de pesade .

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Le " Maneggio di contra tempo " (air de contre-temps).
Fiaschi, 1556, II, 2.

Selon une classification déjà présente dans le précédent traité de Frédéric Grisone, Ordini di cavalcare (1550 - premier traité d’équitation imprimé en français en 1559 sous le titre : L’écuirie du Sir Frederic Grison…-), Fiaschi distingue les différents " maneggi ",(maniements) en fonction de la façon dont le cheval était arrêté et dont la demi-volte, à la fin du " repolone ", était effectuée. Il a ensuite énuméré le " Maneggio di contra tempo "(maniement appelé contre-temps, dans la traduction française), dans lequel le cheval était d’abord retenu sur la main opposée à celle dans laquelle il devait tourner, puis était ramené sur la ligne droite par une demi-pirouette.

« … sur la fin [de la ligne droite] on le tient quelque peu (ce qu’on ne fai aux autres maniemens) sur le costé opposite à celui duquel on le veut faire volter, comme le dessein le monstrera : & puis on le fait volter en ceste maniere, sans qu’il bouge les pieds de derrière du lieu auquel il les aura assis, iusques à ce qu’il soit retourné en la droite route. »(Fiaschi, 1556, II, 2, pp 88-89. Version française de 1611, II, 2, p.56).

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Le " Maneggio di mezzo tempo " (maniement du demi-temps).
Fiaschi, 1556, II, 3.

Puis suivaient lesmaneggi di mezzo tempo " (les maniements du demi-temps) et" di tutto tempo " (de tout temps), dans lesquels le cheval effectuait une ou plusieurs pesades à la fin de la ligne droite, puis tournait sur les postérieures, en effectuant également une demi-pirouette.

« Or la forme & mesure de ces deux temps, ainsi que ie l’enten, est : que quand on manie le cheval en le retenant sur le droit sentier on ne luy donne temps ne loisir de faire posade, ores qu’il le vueille : (car aucunes fois il ne la veut pas faire quand il ne peut, & ne l’y peut ou doit-on pas, laisser faire quand il le veut) & à l’heure volte subit : i’appelle ceste mesure demy-temps. Et quand on lut donne temps & loisir de faire la posade, vieille, ou non, i’appelle ceste mesure, tout-temps… » (Fiaschi, 1556, II, 3, pp 91-92 version française de 1611, II, 3, p.58.)

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" Maniement appelé volte trompées "
( Fiaschi, 1556, II, 4 )

Le " Maneggio detto volte ingannate " (maniement appelé les voltes trompées) était particulièrement curieux. le cavalier faisait semblant de tourner à une main puis, par un changement brusque de direction, il exécutait une pirouette sur l’autre.

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Le " Maneggio di una volta e mezza " (Maniement dit volte et demi).
Fiaschi, 1556, II, 5.

Fiaschi décrit ensuite le" Maneggio con una volta e mezza " (maniement dit volte et demi), dans lequel le cheval exécutait une pirouette complète et demi avant de retourner dans la direction d’où il venait, et le maniement dit " volta d’anche " (volte de hanches), dans lequel le cheval exécutait une pirouette renversée sur les épaules. Ce dernier type de maniement était considéré comme particulièrement adapté pour les joutes et les duels, car il permettait de surprendre l’adversaire par – derrière, alors qu’il était encore en train de tourner sa monture.

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La " volta d'anche " (volte de hanches) était considérée comme particulièrement utile dans les joutes et les duels.
Fiaschi, 1556, II, VI.

Il semble clair que la distinction de ces différentes façons d’effectuer le même exercice du “repolone” (c’est-à-dire de la passade) n’avait pas une utilité immédiate sur le champ de bataille, ou dans le cadre d’une joute (sauf peut-être la « volte de hanches »), mais représentait, une stylisation destinée à mettre en évidence le degré d’obéissance du cheval ainsi que l’adresse et la compétence du cavalier. Il est en effet difficile d’imaginer que lors d’un affrontement, dans lequel il mettait en jeu sa propre vie, un cavalier en armure s’occupait d’exécuter un « demi-temps » ou les « voltes trompées » ; même s’il est probable que ces variations étaient exécutées dans la phase du dressage, pour affiner la docilité et la promptitude de l’animal, et dans les présentations publiques, pour faire valoir l’habileté du cavalier.

Fiaschi a également décrit quelques exercices encore en usage en dressage moderne. Le premier est celui des " volte raddoppiate "(des voltes redoublées). C’était ce que nous appelons aujourd’hui la pirouette. Dans la description de l’auteur on reconnaît l’aide caractéristiquede la jambe extérieure, qui tient les hanches, de sorte que le cheval pivote sur le postérieur interne.

« Aussi luy faudra il tenir contre le ventre l’espérons qui sera du costé opposite duquel il volte, & ne l’enlever iusques à ce qu’il ait achevé de volter de ceste main. […] Partantie dy, que pour cest effect, les pieds de derrière du cheval ne doivent bouger du cercle ou rond du milieu, figuré au dessein cy dessoubs, iusques à ce qu’il ait entièrement accomply toutes les voltes qu’on luy voudra faire faire » (Fiaschi, 1556, II, 7, p. 104, version française de 1611, II, 7, p. 66r-66v).

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Fiaschi appelait "volte raddoppiate" (voltes redoublées),
ce que nous appelons maintenant pirouette
(Fiaschi, 1556, II, 7)

Un autre exercice qui est encore en usage est ce que nous appelons maintenant le piaffer, avec lequel Fiaschi recommandait de mettre fin au “repolone” au lieu de la pesade, en veillant à ce que le cheval relaxe sa mâchoire, en mâchant le mors :

« Au lieu de la quelle [de la pesade], tant en cestuy-cy quen tout autre maniement, sera bon à larrest du cheval qui se fait sur la droitte route, luy faire faire, comme fait la pluspart de chevaux dEspagne, lesquels lors quon commence à les retenir, abaissent les hanches quasi iusques à terre. Puis après retenu quil demeure en meutte, cest à dire, quil leve le pieds de devant, tantost lun, tantost lautre : & encore faudra faire de sorte quil masche sa bride hautement tant quelle face son : pource que cela luy donnera plus grande grace & asseurance, & ne pourra estre blasmé daucun. »(Fiaschi, 1556, II, 7, p. 106, version française de 1611, II, 8, p. 66v).

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Fiaschi conseillait l'utilisation du contre-galop sur les voltes
pour entraîner tant les jeunes chevaux que les plus âgés
( Fiaschi, 1556, II, 9 )

Enfin, le « contre galop » sur le voltes, que l’auteur conseillait comme exercice utile pour rendre le cheval plus fort et résistant, est largement utilisé aujourd’hui pour travailler l’équilibre et la rectitude :

« Et quand on les exercera en ce maniement, soit en trottant ou en galopant, si on les fait volter à mai dextre, faudra faire en sorte que le bras & lespaule gauche passent devant : & quand on les fera volter à main senestre, pareillement que le bras & lespaule droite aillent les premiers en avant. Or est ce maniement grandement profitable & avantageux, non seulement por le chevaux ieunes, mais aussi pour ceux qui son avancez en aage, car il vaut à beaucoup deffects : aux ieunes les apprendre, & leur faire gaigner haleine, aux plus aagez, pour ramenteuoir quils ont pieça appris, & néanmoins les maintenir tousiours en haleine. »(Fiaschi, 1611, II, 9, p. 68v).

À suivre …

Giovanni Battista Tomassini

 

Bibliographie

BARRY, Jean-Claude, Traité des Airs relevés , Paris, Belin, 2005.
FIASCHI, Cesare,  Trattato dell'imbrigliare, atteggiare e ferrare cavalli , Bologne, Anselmo Giaccarelli 1556 – La manière de bien emboucher, manier et ferrer les chevaux, Paris, Adrian Perie, 1611
GRISONE, Federico,  Gli ordini del cavalcare , Napoli, stampato da Giovan Paolo Suganappo, 1550.
TOBEY , Elizabeth,  The Legacy of Federico Grisone, in AA. VV., The Horse as Cultural Icon : The Real and the Symbolic Horse in the Early Modern World, Leiden, Koninklijke Brill, 2011, pp. 143-171.
 
Site Internet de l'auteur : http://worksofchivalry.com

 

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